Parmi les richesses des archives du campus de l’Université de Moncton, campus de Shippagan, on retrouve un fonds très intéressant sur l’état du système scolaire francophone dans le monde acadien au Nouveau-Brunswick au milieu du siècle dernier, c’est-à-dire de 1929 à 1964 environ. En effet, ces documents, surtout des lettres et des rapports, recèlent des informations importantes sur la formation du corps enseignant au primaire et au secondaire. De plus, les documents témoignent de l’évolution du système scolaire, des heurs et des malheurs des maîtres tant dans les petites écoles que dans les écoles secondaires et les collèges. Ces précieux documents sont signés par Marie-Esther Robichaud, enseignante, puis directrice d’école et ultimement, assistante du surintendant des écoles dans le comté de Gloucester dans le nord-est du Nouveau-Brunswick. L’historien, Nicolas Landry, a exploré ce fonds d’archives. Il nous en livre une solide description.
Landry témoigne tout autant des grands progrès qu’il a fallu accomplir pour amener une certaine uniformité à la fois dans le contenu des matières enseignées et dans la formation du personnel enseignant que des succès qui viendront couronner les efforts de Marie-Esther Robichaud et des nombreux problèmes auxquels elle aura su apporter des solutions. Ces informations nous sont présentées en sept chapitres.
Le chapitre premier nous offre à la fois un survol historiographique et historique de l’éducation francophone au Nouveau-Brunswick. L’auteur souligne la situation des femmes désireuses de devenir enseignantes et les difficultés qu’elles vécurent à l’époque des premières embauches en 1838 et par la suite. Marie-Esther Robichaud viendra plaider leur cause.
Le chapitre deux résume bien la vie étudiante de Robichaud et sa carrière d’enseignante de 1929 à 1944. En 1928, munie de son diplôme académique, elle obtiendra son brevet d’enseignante de l’école normale de Fredericton. Elle débutera sa carrière à Bathurst, mais elle passera rapidement à Shippagan, où elle oeuvrera pendant presque quinze ans. Il faut également souligner sa contribution aux associations anglophones d’enseignantes et d’enseignants en province qui représentait un problème pour les francophones. Marie-Esther Robichaud déploiera de grands efforts pour fonctionner en français dans les écoles acadiennes.
Robichaud se consacrera à la formation d’autres enseignantes et enseignants tout en poursuivant sa propre formation au Collège Sacré-Coeur et au Collège Saint- Joseph. En 1939, elle formera le premier cercle pédagogique à l’École supérieure de Shippagan, qui, plus tard, deviendra l’Association des enseignants francophones du Nouveau-Brunswick. Elle sera responsable de l’amélioration de l’enseignement de certaines matières dans les écoles acadiennes. Il faut également noter la prise en charge par Marie-Esther d’autres groupes pédagogiques. En 1944, par exemple, elle sera élue vice-présidente de l’Association des instituteurs du Nouveau-Brunswick. De plus, à partir de 1937 et même peut-être avant, elle organisera des cours du soir pour enseigner la lecture et l’arithmétique aux adultes. Enfin, elle publiera en français des articles dans la revue néo-brunswickoise, Educative Review; Marie-Esther se joindra aussi au comité de rédaction de cette revue.
Le chapitre trois comprend de nombreuses informations sur le rôle de Marie- Esther en tant qu’assistante au surintendant des écoles de Gloucester entre 1944 et 1964. Elle sera la première femme à occuper un tel poste au Nouveau-Brunswick.
Marie-Esther sera vraisemblablement toujours bien accueillie et ses visites se dérouleront dans une atmosphère assez détendue et productive. L’inverse sera souvent vrai dans la gestion provinciale des écoles de Fredericton. Marie-Esther y entretiendra des relations souvent houleuses. Elle essuiera fréquemment des refus pour ses demandes de remboursements pour les déplacements professionnels.
Le chapitre 4 nous renseigne sur la piètre qualité des infrastructures scolaires et sur le manque de matériel pédagogique dans les écoles qui tombaient sous la responsabilité de Marie-Esther. Elle apportera des solutions aux problèmes, dont ceux touchant les salaires du personnel enseignant, l’absentéisme des enfants, et encore, la fréquentation scolaire saisonnière des écoles. Enseigner dans les petites écoles à pièce unique représentait un énorme défi, parfois avec plusieurs années représentées et un grand nombre d’étudiantes et d’étudiants dans une seule pièce. Ajoutons à ces difficultés l’absence d’éclairage et de tableaux et le manque de pupitres et ces tâches devenaient presque insurmontables. Le personnel enseignant arrivait tant bien que mal à tirer son épingle du jeu, comme le signalait Marie-Esther, sans manquer d’insister sur le fait que de telles conditions pouvaient être décourageantes, et d’autres encore, insurmontables, autant pour les élèves que pour les maîtres. Le simple fait d’acheter des manuels pour livrer la matière demandait aux enseignantes et aux enseignants de débourser des sommes importantes de leurs propres poches.
Le chapitre 5 porte sur les mouvements associatifs à l’époque où Marie-Esther oeuvrait dans le Nord-Est, y compris les Foyers-écoles et les cercles pédagogiques. Ultimement, leur raison d’être était d’améliorer la formation des maîtres grâce à la création de cours d’été, par exemple, pour déboucher sur le mieux-être des étudiantes et des étudiants. Marie-Esther se donnera aussi comme mission de promouvoir les intérêts des francophones.
Le recrutement et la formation du personnel enseignant, surtout pour le comté de Gloucester, est le sujet du chapitre six. Marie-Esther apportera beaucoup d’aide au personnel enseignant afin de gérer des situations difficiles, les petits salaires disparaissant à peu près complètement en raison du coût des pensions. De plus, les enseignantes chercheront à acquérir de meilleures compétences pour mieux se qualifier pour certains postes. Ici encore, Marie-Esther leur viendra en aide. En périodes maigres, les enseignantes mariées pensaient revenir à l’enseignement, ce qui était de plus en plus permis au Nouveau-Brunswick au milieu du siècle dernier. L’obtention de la permanence pour de nombreuses enseignantes qui visaient la stabilité d’emploi les poussera aussi à parfaire leurs connaissances et parfois à obtenir des diplômes supplémentaires. Enfin, la Seconde Guerre mondiale sera une période de pénurie avec le départ de milliers d’hommes au front.
Finalement, le chapitre 7 nous renseigne sur les implications de Marie-Esther encore, certaines dans l’enseignement, notamment dans ceux de la musique et de l’histoire. En effet, elle enseignera la musique dans les écoles. Elle montera un répertoire de petites chansons et de chansonnettes pour les petites écoles et donnera des cours de musique pour les premières années du primaire. De plus, elle jouera un rôle très important dans la mise en oeuvre d’un festival de musique. Pendant quelques années, Marie-Esther s’occupera de former une chorale de jeunes filles. Elle sera aussi impliquée dans l’enseignement de cours d’histoire et proposera qu’un guide sur l’histoire acadienne soit rédigé. Finalement, son engagement dans la préservation du Collège Jésus-Marie à Shippagan sera souligné, cela à une époque où de nombreux collèges et couvents ont eu à fermer leurs portes, ainsi que son implication au Conseil régional d’aménagement du Nord (CRAN) et à la Société historique Nicolas Denys (SHND). Dans un numéro spécial de la revue de la société, elle publiera six textes sur l’histoire de l’éducation des francophones dans le nord-est du Nouveau-Brunswick.
Marie-Esther Robichaud fut sans aucun doute une infatigable travailleuse. Elle a apporté de l’aide à un très grand nombre de personnes, personnel enseignant, étudiantes et étudiants De toute évidence, dans son ouvrage, Nicolas Landry souligne l’énorme contribution de cette dernière dans le domaine de l’enseignement et à la formation des maîtres, dont l’amélioration des programmes et un meilleur taux de réussite du corps étudiant. Les données présentées dans ce volume confondent par leur simple quantité. On ne cesse d’être émerveillé par les solutions potentielles proposées par Marie-Esther Robichaud.
La lecture de ce texte nous permet de découvrir un système d’enseignement boiteux affublé de grandes faiblesses qu’une personne à elle seule ne pourrait jamais espérer corriger. Il faut quand même applaudir les efforts de Marie-Esther Robichaud qui aura contribué d’une façon très significative à l’amélioration des conditions dans le monde de l’enseignement au milieu du siècle dernier. De tels témoignages sont rares et méritent d’être reconnus. La lecture de ce volume vous est donc fortement recommandée.
Resenhista
Marc Lavoie. Chercheur Indépendant.
Referências desta resenha
LANDRY, Nicolas. Marie-Esther Robichaud. Une éducatrice acadienne et son temps, 1929– 1964.Sudbury: Éditions Prise de parole, 2019. 220p. Resenha de: LAVOIE, Marc. Historical Studies in Education. Vancouver, v.31, n.1, 2022. Acessar publicação original.
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