Narrativas LGBTIQ | Revista Brasileira de Pesquisa (Auto)Biográfica | 2019

“L’homosexualité dans ce monde, c’est possible tant qu’on n’en parle pas.”

Hervé Guibert (1990, p. 34)1

“Ce n’est pas grave si tu ne te réveilles pas tout seul Si à côté de toi c’est un gars et que t’as la larme à l’œil”

Eddy de Pretto (2017)2

Nous tenons, tout d’abord, à remercier la Revue Brésilienne de Recherche (Auto)Biographique d’avoir accepté notre proposition de diriger ce dossier, réunissant des recherches sur des récits LGBTIQ3 , et à féliciter son Conseil éditorial de son accueil face aux résonances de cette thématique dans l’actuel contexte politique brésilien.

L’arrivée au pouvoir de Bolsonaro, au début de l’année 2019, s’est accompagnée d’une série de propos homophobes du président brésilien comme de son gouvernement. Pour rappel, et ce ne sont que quelques exemples parmi d’autres, la ministre des Droits de l’Homme, des femmes et de la famille, Damares Alves, déclare en janvier 2019 que les filles “portent de tenues roses” et les “garçons des tenues bleues” pour bien marquer sa position à la faveur de la différence entre les deux sexes. En mai 2019, elle dénoncera le dessin animé “La reine des neiges” pour propagande homosexuelle, enboîtant ainsi le pas sur son président qui, quelques semaines auparavant s’était opposé à ce que le Brésil deviennent “un paradis pour touristes gays”. Les contextes de vie ne se limitant pas aux contextes politiques, l’arène juridique brésilienne poursuit, quant à elle, certaines avancées contre les LGBT-phobies. Le 23 mai 2019, six des onze juges de la Cour Suprême du Brésil se sont prononcés pour la classification de l’homophobie et de la transphobie comme crimes spécifiques, au même titre que le racisme. Le tribunal suprême fédéral a ainsi estimé qu’omettre d’inclure ces discriminations dans ses loi anti-discriminations était contraire à la Constitution. C’est dire combien les thématiques LGBTIQ sont, à l’image des droits minorités, sans cesse menacées. Ces premiers mots étaient destinés à remercier la revue et ses directrices-directeurs pour avoir accepté de porter cette proposition.

Alors que les études narratives ont depuis longtemps cotoyé les études de genre et les études féministes (DIENGOTT, 1988 4; LANSER, 1986 5; DE LAURETIS, 1984 6; HOMANS, 1984 7), il aura fallu attendre ces dernières années pour que les recherches biographiques explorent les voix et les narrativités LGBTIQ (MENSAH, 2017 8; LORENZI, 2017 9; SOUZA, 2015 10; BRADFORD 2011)11. Les tendances à la dépathologisation des discours (notamment autobiographiques), à l’augmentation numérique des récits et des témoignages, et à la complexification des narrations sont d’ores et déjà aquises (ROSENBERG, 2017 12), et les recherches portant sur les récits numériques des LGBTIQ, entre autre du côté des cultural studies, le montrent particulièrement (BREDA et BOURDAA, 2019 13; PUGH, 2018 14; YOURD, 2014 15; LÉVY, DUMAS, CHAMBERLAND, CHICOINE, 2013)16.

Deux tendances nous interessent ici: d’une part la spécialisation des recherches en thématiques variées et, d’autre part, l’autonomisation des lettres de l’acronyme LGBTIQ, avec l’émergence récente des recherches en études “trans” et “intersexes”.

La première tendance dessine une exploration des thématiques, des domaines, dans lesquels les questions LGBTIQ peuvent emerger. On soulignera par exemple l’explosion des recherches autour de l’école (RICHARD, 2015 17; DAGORN et ALESSANDRIN, 2015 18; PETER et CHAMBERLAND, 2015 19; REYGAN, 2015)20 ou bien celles, plus marginales il est vrai, autour des questions de famille (VECHO et SCHNEIDER, 2015 21; WEEKS, HEAPHY et DONOVAN, 2001)22 ou de santé (SENTIS, 2019 23; RAIL et al, 2009)24. Ce débordement des espaces du genre et de la sexualité à d’autres instants de vie signe une ouvertue non négligeable dans les narrations LGBTIQ.

La seconde tendance relève plus de la segmentation des sous-populations LGBTIQ. Ainsi, les lesbiennes (QUEMENER, 2014 25; CHETCUTI, 2014)26, les gays, les bisexuel.le.s, les personnes trans (PRECIADO, 2008)27 ou intersexes (PLUMEY et DELORY-MOMBERGER, 2016)28 et, plus récemment, les personnes au genre fluide -pour ne citer qu’elles- bénéficient d’analyses portant sur leurs apports biographiques et leurs espaces de narrations indépendants afin de (se) raconter (et l’on pourrait en dire de même en ce qui concerne les pratiques sexuelles à l’interieur des communautés LGBTIQ, déjà bien explorées à travers, notamment, le BDSM 29).

Ces multiples approches au plus prés des prises de parole, du récit de soi et des biographies, nous encourage à poursuivre la voie d’un éclairage pragmatique dans les études LGBTIQ – Lesbiennes Gays Bissexuelles Trans Intersexes et Queer, en vue d’une meilleure compréhension des manières de faire et des manières de dire les épreuves et les expériences de la quotidienneté LGBTIQ, et ce à travers une multiplicité de contextes. L’analyse des récits biographiques ne doit donc pas se limiter aux injonctions à la biographie et au récit de soi que nos société contemporaines mettent en avant. Il s’agit aussi d’analyser l’expérience réflexives des discours, des mises en récit, ainsi que leurs lieux, leurs contextes, de production et de reception, car, répétons nous, les récits singulières ne sont jamais pleinement déconnectés des récits disponibles dans une société donnée. Les populations LGBTIQ ne font pas exception à la régle. Mais si nos sociétés disposent d’un “stock de narrations” (MARTUCCELLI, 2019)30 pour rendre intelligible le réel, pour relier des expériences peu concordantes ou réellement explosées, pour articuler nos représentations et nos actions, les individus ne sont pas non plus démunis d’inventivité.

Cet appel à articles visait donc des propositions s’inscrivant simultanément dans une dimension micosociologique et macrosociologique, c’est à dire des écrits qui n‘enseveliraient pas les épreuves, les récits et les expériences LGBTIQ dans une unité théorique surplombante et qui, par ailleurs, n’évinceraient pas les caractéristiques politiques et sociales des contextes évoqués. La multiplicité des thématiques LGBTIQ, la dimension internationale de cet appel à articles et le foisonnement de ces études nous ont contraint à favoriser des papiers non seulement originaux mais également exploratoires ou innovants, issus d’enquêtes de terrains qualitatives. L’aspect émergent de certaines dimensions narratives LGBTIQ ont été particulièrement appréciées.

De façon non exhaustive, les questions de santé, de scolarité, d’espace public, les rapports au travail ou à la famille ou bien encore les expériences intracommunautaires nous interessaient particulièrement. Toutes n’ont pas pu être éclairées. On peut penser par exemple aux imbrications entre questions LGBTIQ et féministes, ou bien entre minorités sexuelles / de genre et migrations.

Plus encore, les narrativités LGBTIQ contemporaines sont réintorrogées lorsqu’elles intégrent les nouvelles identités de genre ou de sexualité qui bousculent les récits biographies classiques (“gender fluids people”; “gender creativ kids”; “pansexuality” …). Ces éléments faisaient donc partie de nos interrogations initales, tout comme d’ailleurs les questions relatives aux technologies numériques et aux usages écraniques: production de fans LGBTIQ, témoignages en ligne etc. Enfin, les dimensions relatives aux émotions, aux récits discrets, sensibles, naissants et incertains bref, à tout ce que la littérature en la matière n’a pas encore su ou pu saisir, a été regardé avec attention pour le présent dossier.

“Narratives LGBTIQ” s’ouvre sur le texte de Barbara Andrade de Sousa, intitulé “Les différents enjeux de la citoyenneté sexuelle selon la configuration géopolitique: une analyse comparative entre le Brésil et les États-Unis”. Inscrit dans une synamique comparative propre à la dimension internationale de la revue, l’article se divise en deux analyses complémentaires. La première examine les différences entre la tentative de construction de la citoyenneté sexuelle aux États-Unis et au Brésil. L’exposition en miroir des demandes et des mouvements sociaux des gays et des lesbiennes entre les deux pays permet la mise en évidence de chaque contexte social et politique en ce qu’ils génèrent une quête de citoyenneté sexuelle disctincte. Par la suite, l’article se concentre sur le Brésil et s’interroge sur la possibilité d’avoir une citoyenneté sexuelle réussie dans un pays qui présente des taux alarmants de violence contre la population LGBT. Étant donné la pénurie d’analyses sur ce sujet, l’article cherche à élucider telle relation (citoyenneté sexuelle vs violences LGBTphobes) en mobilisant des études qui placent le féminicide et le racisme comme barrières d’accès à la pleine citoyenneté. Cette mise en parallèle des critères de discrimination au regard de la notion de “citoyenneté sexuelle” plante le décors de sociétés punitives ou restrictives à l’égard des minorités sexuelles.

La lecture du dossier se poursuit par le texte de Nathanael Wadbled qui offre une analyse autour de “La philosophie narrative de Judith Butler” et qui interrogeune théorie de l’identité LGBTQI”. Pour l’auteur, “Judith Butler construit son concept de genre de maniere narrative. elle n’en donne pas les caracteristiques definis sous forme de diagramme ou d’image statique et definitive. elle reprend plutot differentes histoires qu’elle emprunte a la tradition philosophique et psychanalytique”. Ces recits rendent compte de plusieurs processus de subjectivation qui traduisent des parcours d’acception de son genre. “S’inscrivant dans un heritage methodologique aà la fois hegelien et foucaldien, Butler definit le concept de genre comme le mouvement de ce processus et le decrit en racontant l’histoire de ce qu’il conceptualise”. Pour Nathanael Wadbled, il répond à l’impératif de reconnaitre l’expérience des personnes LGBTIQ sans en faire des sujets anormaux. Pour reprendre les mots de l’auteur, le genre est alors définit de façon dynamique, presque… sans définition, des “fictions vraisemblables” en sorte.

Nous le disions en introduction, les questions de santé se font une place dans l’analyse biograhique. Cécile Loriato apporte sa pierre à l’édifice avec son article sur “Les figures sociales de l’usager de la PrEP au prisme de l’analyse de témoignages en ligne”. En prenant pour objet d’analyse le témoignage en ligne, cette contribution propose d’éclairer les figures sociales de l’usager de la PrEP, nouvel outil de prévention du VIH, afin de questionner les représentations de la sexualité gay, telles qu’elles apparaissent dans les interactions entre les participants à un groupe de discussion Facebook dédié à la PrEP. Les témoignages ont été analysés dans une perspective diachronique dans le cadre d’une ethnographie en ligne pour laquelle ont été mobilisées plusieurs méthodes: l’observation et l’analyse du dispositif sociotechnique, des entretiens semi-directifs, une analyse qualitative des interactions, ainsi qu’une analyse quantitative de la participation. L’analyse des récits de soi, en tant qu’objets contraints par un dispositif sociotechnique institutionnalisé et mouvants dans l’interaction, a permis de mettre en évidence des figures sociales de l’usager de la PrEP, qui se constituent par le croisement de la nature du comportement (conforme ou nonconforme à la norme) avec les réactions qu’il suscite (c’est-à-dire en fonction de la perception qu’en ont les participants au groupe). Ainsi, ont émergé la figure du « prepeur raisonnable », celle du « bon prepeur » en opposition à la figure du « mauvais prepeur », puis celle du « prepeur responsable ».

Nous poursuivons les questions de santé en les adossant à la sociologie de la déviance grace au texte de Osvaldo Fernandez et Edward MacRae intitulé “Entre carrières, réseaux et circuits LGBT: une approche ethnographique des styles et des modèles de consommation de cocaïne à São Paulo”. Cet article est le résultat de longues recherches ethnographiques menées dans la ville de São Paulo auprès d’usagers de cocaïne situés dans différents territoires et circuits, en particulier de consommateurs LGBTQ + de la région centrale de la capitale. La recherche a été construite avec des observations directes et avec l’emploi d’ “informateurs clés” interrogés. Ces derniers racontent leur consommation mais aussi leurs “réseaux d’amitiés”, notamment ceux connus à deux moments différents en 1994 et en 2006. Cette recherche vise à comprendre l’apprentissage de l’usage de drogues illicites (cocaïne) et montre le rôle joué par la cocaïne dans différents contextes socioculturels, en particulier l’usage de cocaïne dans des contextes sexuels et homoérotiques.

Parmi les textes reçus, plusieurs ont abordé la thématique des transidentités. Plus encore, c’est la question de la non-binarité, ou de la fluidité de genre qui semble parfois l’avoir emporté. Les enquêtes récentes montrent bien l’émergence de cette thématique (ALESSANDRIN, 2018)31. Pour ce dossier c’est l’article sur les “Narrations de l’expérience non binaire” de Neilton dos Reis et de Roney Polato de Castro qui aborde la question. Cet article, basé sur une recherche de maîtrise en éducation, vise à aborder des questions liées au genre, à la binarité et à la non-binarité du genre, à partir d’extraits du récit de trois jeunes qui s’identifient comme des personnes non-binaires; récits construits à partir d’entretiens-narratifs au cours des années 2016 et 2017. A travers les récits sélectionnés, est analysée la manière dont les sujets positionnent, équilibrent, des identités et des différences, en prenant comme paramètres les mécanismes institués par les normes binaires du genre (et donc de potentielles sanctions). Comment les sujets du récit s’expriment dans leur corps? Comment s’effectue l’identification et la différenciation par rapport à la matrice d’intelligibilité binaire du genre? De quelle manière les expériences d’inconfort et de violence vécues par les sujets, qui négocient leurs manières d’être, d’agir, de ressentir et de réfléchir, se repercutent-elles sur leurs relations avec les autres? Autant de questions auxquelles tente de répondre cet article.

Poursuivant notre approche biographique des questions trans, l’article de Maoua Marmouch s’interesse à des “Récits biographiques transgenres wallisiennes et kanak en Nouvelle-Calédonie”. Dans cet archipel situé en Mélanésie dans le Pacifique Sud, les femmes transgenres appartiennent à tous les groupes ethniques (wallisiens, tahitiens, kanak…) avec une prédominance chez la communauté wallisienne immigrée dans le centre urbain de Nouméa. Chez les kanak, la population autochtone, la présence transgenre est en revanche niée et très peu visible. La visibilité des personnes transgenres wallisiennes à Nouméa laisse penser au premier abord que ces dernières sont plus tolérées voire acceptées par leurs familles par rapport aux kanak. Néanmoins, les récits de vie de transgenres wallisiennes et kanak analysés dans la thèse de l’auteure évoquent au contraire des formes similaires de stigmatisation, de refus et de la négociation sur le long terme au sein de la famille et de la communauté en général. Dans cet article, à partir de quatre récits de vie recueillis auprès de quatres transgenres, deux d’origine wallisienne et deux kanak, la chercheuse décrit la façon dont la féminité transgenre est vécue et négociée par rapport à la famille en kanaky ou en Nouvelle-Calédonie.

Pedro Paulo Souza Rios et Alfrancio Ferreira Dias s’inscrivent également dans le monde de l’éducation avec un article intitulé “Alors j’étais classé comme une personne étrange : entre les narrations, dans la construction de l’étrange dans le corps de professeurs gays” L’objectif de ce travail est, selon les propres termes des auteurs, d’examiner les moyens de construire «l’étrange» dans le corps et le discours des enseignants homosexuels dans le site semi-aride de Bahia (Brésil), en considérant les processus de construction du genre et de la sexualité dans leurs trajectoires de vie, leur formation universitaire et professionnelle. Le travail analytique a permis de déduire comment les processus de production de “l’étrange” agissent sur le corps des participants grâce à un mécanisme de vigilance et à des sanctions en vigueur dans les différentes institutions parmi lesquelles l’école. Ainsi, sont analysées les stratégies mises en place en vue de confronter un modèle hétéronormatif, érigé en une seule norme d’expérience des sexualités et des subjectivités de genre. Afin de produire sous le signe de “l’étrange” tout ce qui, dans une certaine mesure, défie ce modèle, les auteurs donnent la parole à des corps saisis par l’institution d’une part et par leur singularité d’autre part.

Juliane Costa da Silva et Jane Adriana Vasconcelos Pacheco Rios restent, elles aussi, du côté de la sociologie de l’éducation avec un article portant sur les “Jeunes gays à l’école” et sur “la masculinité, l’enfance et leurs narrations”. L’article présente des histoires d’élèves gays, en particulier de marques d’enfance et des interrogations relatives à la masculinité, vécues dans les espaces de formation de l’école et de la famille. Il s’agit d’une recherche narrative dont l’option méthodologique a été inspirée par les études d’histoire orale, utilisant des entretiens narratifs comme moyen de recueillir des histoires de vie. Six lycéens gays d’une école publique située à Bahia (Brésil) ont été interrogés par les chercheuses. Leur étude souligne que les jeunes homosexuels reconstruisent leurs histoires et leurs parcours scolaires en un processus d’auto-investigation, élargissant leur perception de leur propre enfance, à partir de relations fondées sur la famille et renforcées par leurs relations interpersonnelles avec leurs camarades de classe. La question des surnoms péjoratifs et celle de l’obligation de se rencontrer entre pairs est abordée. Au total, pour reprendre les auteurs, les récits donnent la sensation que “la masculinité hégémonique finit par violenter le corps des enfants gays”.

C’est Maria Rita de Assis César, bien connue pour ses travaux sur le genre, accompagnée de Dayana Brunetto Carlin dos Santos et d’Amanda da Silva, qui poursuivent ce dossier avec un article intitulé “narrativités trans: enseignement et prostitution”. Cet article vise à analyser les expériences de enseignantes trans* qui travaillent dans l’éducation primaire dans l’État du Paraná (Brésil) ainsi que leurs relations avec la prostitution. La recherche est issue d’un questionnement sur la professionnalisation des enseignants trans*, en dialogue avec leur processus de double constitution de soi, c’est-à-dire en tant qu’enseignants et travailleuses du sexe. Par le biais d’entretiens narratifs avec six femmes trans*, enseignantes des réseaux d’éducation municipale et publique, il a été possible aux chercheuses de percevoir que les expériences d’enseignement de ces personnes trans* peuvent non seulement constituer un mouvement de résistance aux normes de genre rigides imposées en milieu scolaire mais que, parallèlement, la présence de leurs corps dans cet environnement scolaire suscite une remise en question des personnes gravitant autour d’elles. Dans quelles conditions? C’est ce que l’article analyse.

Le dossier se conclue par le texte de Cleilson Queiroz Lopez avec un article intitulé “Spectacle LGBTIQ Sofia -35: enjeux de l’autobiographie et du genre à al scène”. Dans cet article, toujours pleinement inscrit dans la recherche autobiographique, l’auteur occupe la place d’artiste-chercheur. L’objectif principal est d’analyser la création dramaturgique du spectacle “LGBTIQ Sofia -35”, un monologue dans lequel, en tant qu’acteur et dramaturge homosexuel, l’auteur (se) déconstruit et (se) reconstruisais au cours de la pièce pour tenter de comprendre comment la réalité et la fiction se rapportent à la construction du personnage: Sofia. À partir de discussions contemporaines sur le genre, l’article aborde des questions telles que la migration, la santé publique, l’éducation et les droits des communautés LGBTIQ. L’auteur utilise alors une libre expression, étayée par la recherche bibliographique et des récits personnels. Le récit autobiographique du spectacle Sofia-35 démantele les discours hétéronormants dominants à travers l’art, et souligne également l’espace distincts et poreux de l’illusion et de la réalité. En ce sens, les scènes LGBTIQ issues de l’esthétique théâtrale autobiographique permettent au spectateur de ré-élaborer leurs réalités possibles.

Notons que dans la partie “mémoires” de la revue, le texte de Clément reversé aborde lui aussi la thématique LGBTIQ et propose une synthèse de son travail de fin d’étude sur les mineurs trans et leur (non)inclusion dans le système éducatif français.

A la lecture de ce dossier, nous ne pouvons que faire un parallèle avec nos recherches actuelles. Dans une récente enquête sur les discriminations vécues par les personnes LGBTIQ dans l’espace public, une somme importante de témoignages nous sont parvenus. Que disent-ils? Que parler de l’expérience LGBTIQ c’est toujours un peu parler d’une expérience discriminatoire ou de sa menace. C’est également parler des modalités de gestion du risque afin de “faire avec” la potentialité du risque homophobe ou transphobe. C’est donc dire les soutiens, les ami.e.s, les réseaux, ce qui rend plus fort, dans les relations comme dans les représentations, ces séries, ces films, ces livres qui inspirent et donnent au récit de soi une texture assumée. Ecrire, se raconter, c’est aussi fuir, raconter les épreuves, les doutes, les évitements, les silences. Ils sont partie prenante de ces histoires. C’est aussi raconter les luttes, et les questions mémorielles qui traversent les communautés LGBTIQ en témoignant. C’est enfin dire les équilibres, des incertitudes, ce qui apparaissait certain, robuste, et qui se délite: une amitié, une croyance. Cette quotidienneté là, collective et singulière, les LGBTIQ auront à la raconter, à la raconter plus encore, afin que les méta-récits politiques et sociaux ne les ensevellissent pas.

Bordeaux, printemps 2019

Notas

1 GUIBERT, Hervé. A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie. Paris: Gallimard, 1990, p. 34.

2 DE PRETTO, Eddy. “Grave”, Album Kid, 2017.

3 Lesbiennes, Gays, Bisexuelles, Transgenres, Intersexes et Queer.

4 DIENGOTT, Nilli. “Narratology and Feminism.” Style, n. 22, p. 42-51, 1988.

5 LANSER Susan. “Toward a Feminist Narratology.” Style, n. 20, p. 341-63, 1986.

6 DE LAURETIS, Teresa. Alice Doesn’t: Feminism, Semiotics, Cinema. Bloomington: Indiana UP, 1984.

7 HOMANS, Margaret. “Feminist Fictions and Feminist Theories of Narrative.” Narrative, n. 2, p. 3-16, 1984.

8 MENSAH, Maria Nengeh et al. « Militer par le témoignage public: défis et retombées pour les communautés sexuelles et de genres », Reflets: revue d’intervention communautaire et sociale, n. 23, p. 82-118, 2017.

9 LORENZI, Marie-Émilie. « « Queer », « transpédégouine », « torduEs », entre adaptation et réappropriation, les dynamiques de traduction au cœur des créations langagières de l’activisme féministe queer », GLAD! [En ligne], 02 2017, mis en ligne le 01 juin 2017, consulté le 13 juin 2019. URL: https://www.revue-glad.org/462

10 SOUZA, Elizeu Clementino de. Direitos humanos e diversidade sexual na escola: homofobia, trabalho docente e cotidiano escolar. Conjectura: Filosofia e Educação (UCS), v. 20, p.198-220, 2015.

11 BRADFORD, Simon Bradford; CLARK, Marilyn. “Stigma Narratives: LGBT Transitions and Identities in Malta”. International Journal of Adolescence and Youth. n.16, p.179-200, 2011.

12 ROSENBERG, Shoshana. « Coming In: Queer Narratives of Sexual Self-Discovery », Journal of homosexuality, v. 65, n.13, p. 1788-1816, 2017.

13 BREDA, Helene et BOURDAA, Mélanie, “Transidentités et séries télévisée”. In: ALESANDRIN, Arnaud (Orgs.). Actualité des trans studies, Paris: Editions des Archives Contemporaines, 2019. p. 101-108.

14 PUGH, Tison. « The Queer Narrativity of the Hero’s Journey in Nintendo’s The Legend of Zelda Video Games ». Journal of Narrative Theory, v. 48, p. 225-251, 2018

15 YOURD, Melody, “Education, Community, Narrative Voices: The Internet as a Queer Storytelling Platform”. Gender Studies Research, v. 2, p. 5-15, 2014.

16 LÉVY, Joseph; DUMAS, Jean; CHAMBERLAND, Line et CHICOINE, Braithwaite Yannick. « Usages sociaux d’Internet-santé et stratégies de communication dans la population LGBT canadienne », Communiquer, 10, 45- 66, 2013.

17 RICHARD, Gabrielle, «  Taire ou exposer la diversité sexuelle? Impacts des normes de genre et de l’hétéronormativité sur les pratiques enseignantes ». Genre, sexualité et société, 13, [en ligne], 2015.

18 DAGORN, Johanna et ALESSANDRIN, Arnaud. « Être une fille, un gay, une lesbienne ou un.e trans au collège et au lycée », Le sujet dans la cité, v. 6, n. 2, p. 140-149, 2015.

19 PETER, Taylor et CHAMBERLAND, Line. « A queer day in Canada: Examining Canadian high school students homophobia in two large-scale studies”. Journal of Homosexuality, 62 (2), P. 186-206, 2015.

20 REYGAN, Francis. «  Emotions and pedagogies of discomfort: Teachers’ responses to sexual and gender diversity in the Free State, South Africa”. Education as Change, 19 (1), p. 101-119, 2015.

21 VECHO, Olivier et SCHNEIDER, Benoit. « Homoparentalité et développement de l’enfant. Réponse à Maurice Berger », Le Débat, v. 183, n. 2, p. 150-156, 2015.

22 WEEKS, Jeffrey; HEAPHY, Brian et DONOVAN, Catherine. Same Sex Intimacies Families of choice and other life experiments. Londres: Routledge, 2001.

23 SENTIS, Isabelle. “Nos corps peints et tatoués – nousmêmes : des expériences en santé communautaire menées par et pour des personnes LGBTQI”. In: ALESSANDRIN, Arnond, DAGORN, Johanna et al. Sante LGBTI, Paris: Editions des Archives Contemporaines, 2019. p. 84-91.

24 RAIL, Geneviève et al. In: “Communauté LGBTI et cancer: besoins de soutien et ressources”. ALESSANDRIN, Arnond, DAGORN, Johanna et al. Sante LGBTI, Paris: Editions des Archives Contemporaines, 2019, p. 57-65.

25 QUEMENER Nelly, Plus gouine la vie, Miroir / Miroirs, v.4, 2014.

26 CHETCUTI, Natacha. « Autonomination lesbienne avec les réseaux numériques », Hermès, 69 (2), p. 39-41, 2014.

27 PRECIADO, Paul B. Testo Junkie: sexe, drogue et biopolitique. Paris: Grasset, 2008.

28 PLUMEY, Claudette et DELORY-MOMBERGER, Christine. La Trace: dits et récits d’une hermaphrodite, travailleuse du sexe. Paris: Téraèdre, 2016.

29 Bondage et Sado-Masochisme.

30 MARTUCCELLI, Danilo. “Les matrices narratives du sujet contemporain”, Le sujet dans la cité, v. 9, p. 21-33, 2019.

31 ALESSANDRIN, Arnaud. Sociologie des transidentités. Paris: Cavalier Bleu, 2018.


Organizadores

Alessandrin Arnaud – sociologues à l’université de Bordeaux (France), chercheuses associées au LACES (Laboratoire Cultures, Education, Sociétés) et codirectrices de la revue « Les cahiers de la LCD – Lutte Contre les Discriminations ». Johanna Dagorn et Arnaud Alessandrin ont notamment dirigé les recherches « Santé LGBTI » (DILCRAH, 2017) et « Ville et LGBT-Phobie » (Mairie de Bordeaux, 2018)

Johanna Dagorn – sociologues à l’université de Bordeaux (France), chercheuses associées au LACES (Laboratoire Cultures, Education, Sociétés) et codirectrices de la revue « Les cahiers de la LCD – Lutte Contre les Discriminations ». Johanna Dagorn et Arnaud Alessandrin ont notamment dirigé les recherches « Santé LGBTI » (DILCRAH, 2017) et « Ville et LGBT-Phobie » (Mairie de Bordeaux, 2018)


Referências desta apresentação

ARNAUD, Alessandrin; DAGORN, Johanna. Présentation – Minorités de genre et de sexualité: explosion des récits, explosion des lieux. Revista Brasileira de Pesquisa (Auto) Biográfica. Salvador, v. 04, n. 11, p. 427-433, maio/ago. 2019. Acessar publicação original [DR]

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