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Les manuels de pédagogie. 1880-1920 – ROULLET (CC)

ROULLET, Michèle. Les manuels de pédagogie. 1880-1920. Paris: PUF (Education et For- mation), 2001, 187p. Resenha de: HEIMBERB, Charles. Le cartable de Clio – Revue romande et tessinoise sur les didactiques de l’histoire, Lausanne, n.1, p.212-214, 2001.

Tiré d’une thèse de doctorat en sciences de l’éducation, l’ouvrage de Michèle Roullet sug- gère fortement, et à juste titre, de distinguer les intentions exprimées par les théories péda- gogiques et les réalisations concrètes en la matière. Etudiant un corpus de manuels pédagogiques utilisés dans les écoles normales françaises du tournant du siècle, il donne à voir l’état de ces « vérités moyennes » qui per- mettaient alors d’aboutir au brevet d’ensei- gnement primaire. Il rend également compte de la naissance officielle de deux sciences humaines complémentaires, la psychologie et son corollaire pratique, la pédagogie.

Alors que l’on a assisté récemment à une sorte de réhabilitation partielle des manuels scolaires, Michèle Roullet rappelle qu’ils ont souvent donné lieu à un trop-plein d’infor- mations lié au souci de leur auteur de faire bonne figure auprès de ses pairs. Et qu’ils ont été vertement dénoncés pour leur faculté d’éliminer les contradictions et de produire un discours consensuel, lisse et conforme. Or, ces caractères se trouvent encore accentués dans les manuels qui ont pour objectif de former des enseignants.

L’étude des avertissements ou préfaces de ces ouvrages montre que leurs auteurs déclarent volontiers n’avoir pas écrit un manuel ; c’est dire qu’ils se méfient a priori de cet outil prescriptif. En outre, des récits historiographiques portant sur la pédagogie sont souvent la forme masquée d’une légiti- mation des intentions du présent, de véritables histoire-écran procédant d’une téléologie justificative qui est peu productrice de sens. L’histoire est ainsi le vecteur d’une véritable leçon de choses, elle est mise au service de la pédagogie républicaine, mais elle n’est guère encline à démontrer la com- plexité des problèmes affrontés et des évolutions engagées.

La nouvelle science de l’éducation se pré- sente alors comme parfaitement rationnelle, elle est considérée comme le fruit d’une évo- lution linéaire vers le progrès. Elle manie pourtant les affirmations contradictoires avec une certaine légèreté et cache mal les limites critiques de ses propositions. En outre, elle a recours à des termes qui seront repris plus tard par Jean Piaget : l’accommo- dation et l’adaptation permettraient par exemple aux maîtres d’ajuster les contenus à présenter en classe pour faire en sorte qu’ils puissent être bien assimilés par les élèves. Ce qui implique alors une grande responsabilité de ces maîtres quant à choisir les différents contenus de leurs leçons.

Affirmant une rationalité libératrice, la nouvelle science pédagogique s’appuie notamment sur les procédés de l’induction et de la déduction pour concrétiser ses pro- pos, en insistant surtout sur l’induction qui obilise davantage l’observation que la démonstration. Elle va du particulier au plus général et suppose en tout cas de croire que tout objet s’inscrit dans un ordre stable qu’il s’agit de retrouver; que tout dépend de lois générales puisque tout ce qui arrive a une fin. Quant à la psychologie qui est mobilisée auprès des futurs enseignants, elle se veut avant tout rationnelle et suscep- tible d’affirmations fortes, mais en laissant toutefois la place à des dynamiques plus individuelles.

La plupart des manuels s’ouvrent sur le thème de l’éducation physique et affirment ainsi la nécessité d’éduquer le corps. Quant à l’éducation intellectuelle proprement dite, elle doit partir du jeu et d’activités concrètes pour permettre à l’enfant de faire des expé- riences. Mais elle doit surtout, au nom de la quête du juste milieu, privilégier le dévelop- pement de la Raison et contenir celui de l’imagination dans de justes proportions. Cela dit, l’école républicaine insiste surtout sur l’éducation civique et morale qui forme la volonté plutôt que le jugement. Or, la séparation de l’Eglise et de l’Etat en matière d’écoles publiques consiste d’abord à les ins- crire dans le climat intellectuel positiviste alors dominant. Toutefois, la laïcisation sco- laire est marquée par une forte ambiguïté et c’est souvent un discours religieux qui est tenu en réalité sous l’apparence de la rationa- lité. L’usage très fréquent de mots à caractère religieux – « vocation», « apostolat », etc. – pour évoquer le champ scolaire en témoigne largement. Ainsi, jusque-là, l’éducateur pen- sait que l’éduqué ne devait pas être façonné sur son propre modèle parce qu’il avait déjà reçu une autre empreinte divine. Désormais, c’est un Dieu rationalisé qui laisse les hommes devenir ce à quoi il les aurait prédestinés, ce qui justifie beaucoup mieux leur inégalité.

Mais cette conception nouvelle place les dis- cours des pédagogues dans le champ de l’idéologie. En d’autres termes, l’éducation morale de l’école républicaine vise à former des hommes libres, mais libres de se sou- mettre à la Raison ; elle est donc inculcatrice.

Les méthodes pédagogiques qui sont déve- loppées sont aussi très révélatrices. On trouve déjà à cette époque des formules comme « apprendre à apprendre » ou des éloges de la méthode active. Mais, encore une fois, l’autonomie qui est ici recherchée consiste d’abord en une capacité de maîtriser ses désirs et de vouloir développer pleine- ment ses connaissances. Elle est d’ailleurs conçue comme devant progresser sous l’in- fluence décisive et la conduite déterminée du maître. En outre, il s’agit davantage de valo- riser l’effort que le tâtonnement, une expé- rience objective qu’une démarche subjective de recherche. Enfin, l’effort et le plaisir devraient pouvoir se conjuguer dans le cadre d’une pédagogie qui évitera les difficultés inutiles et tiendra compte de la marche natu- relle de l’esprit.

La question du langage pédagogique est enfin analysée par Michèle Roullet dans ce contexte particulier où l’inductivisme sug- gère une toute-puissance de la description. Or, en confondant cette description avec l’exhortation morale, on risque de ne plus comprendre les métaphores utilisées par les pédagogues anciens. Ainsi la métaphore pédagogique risque-t-elle de n’être plus réduite qu’à une prétendue lecture de la réa- lité et l’injonction morale confondue avec une représentation du fonctionnement psy- chique. Les pédagogues qui s’expriment dans ce corpus de manuels destinés à de futurs enseignants aimeraient certes bien pouvoir ddévelopper leur propre langage, mais ils n’en sont pas vraiment capables et se méfient par- fois du caractère peu rationnel de la méta- phore. Leur langage procède tout de même d’une profusion d’informations, d’un usage marqué de métaphores horticoles autour de la notion de germination (une « naturalisa- tion des phénomènes psychologiques », selon l’expression de Michèle Roullet), d’assertions particulières qui sont répétées inlassable- ment, de la référence à des noms illustres, d’un usage multiplié des adjectifs, le tout s’orientant vers l’affirmation d’un certain modernisme. Cette rhétorique abuse de for- mules qui suggèrent l’innovation des choix autant que la neutralité des faits sur lesquels ils se fondent. Mais elle reste encore, à cette époque, plutôt hésitante et modérée.

Cette étude est très intéressante, mais elle n’échappe pas complètement aux défauts d’une histoire de l’éducation qui pourrait être mieux contextualisée. Par exemple, le court chapitre sur l’éducation physique aurait pu se référer à la fois à l’hygiénisme de la société de la fin du XIXe siècle et à son militarisme croissant dans la perspective nationaliste alors dominante. Et il aurait été utile de définir davantage ce fameux « moment Compay» qui est convoqué tout au long de l’ouvrage non pas seulement à travers ce qu’il a apporté à l’évolution de la pédagogie, mais aussi en interrogeant son et très enrichissant. Elle nous invite à la fois à nous méfier des usages publics – et téléolo- giques – de l’histoire de l’éducation et à prendre bien conscience de ce que pourrait être la force critique d’une véritable histoire qui affronte la complexité et les inévitables contradictions des discours pédagogiques. De ce point de vue, elle nous rappelle que certaines options font partie depuis fort longtemps de l’éventail des intentions nova- trices des pédagogues. Et qu’un certain lan- gage de l’innovation peut être observable à travers le temps, comme une sorte d’inva- riant (« les mots, des invariants qui évoluent » nous dit une belle formule utilisée à la page 154), mais sans avoir beaucoup d’effet. Elle nous incite aussi, en insistant sur le poids des mots et le sens de leur utilisation, à nous inspirer des contradictions, des tâton- nements et des modes de pensée des péda- gogues anciens dont elle a étudié les ouvrages pour appréhender avec un sens cri- tique plus appuyé certains discours pédago- giques d’aujourd’hui. Ainsi nous interpelle- t-elle sur le sens réel d’un engagement pédagogique qui reste évidemment néces- saire, mais qui gagnerait à être bien plus rigoureux, notamment pour ce qui concerne son langage et sa rhétorique. Ce qui consti- tue un beau défi.

Charles Heimberg, Institut de Formation des Maîtres (IFMES), Genèveorigine et sa fonction dans le cadre des   mutations de la société de l’époque, du tournant du siècle et de la Troisième République française, en rapport notamment avec les deux principales catégories de finalités sco- laires, d’ordre économique et politique.

La lecture de l’ouvrage de Michèle Roullet représente finalement un exercice fort utile et très enrichissant. Elle nous invite à la fois à nous méfier des usages publics – et téléolo- giques – de l’histoire de l’éducation et à prendre bien conscience de ce que pourrait être la force critique d’une véritable histoire qui affronte la complexité et les inévitables contradictions des discours pédagogiques. De ce point de vue, elle nous rappelle que certaines options font partie depuis fort longtemps de l’éventail des intentions nova- trices des pédagogues. Et qu’un certain lan- gage de l’innovation peut être observable à travers le temps, comme une sorte d’inva- riant (« les mots, des invariants qui évoluent » nous dit une belle formule utilisée à la page 154), mais sans avoir beaucoup d’effet. Elle nous incite aussi, en insistant sur le poids des mots et le sens de leur utilisation, à nous inspirer des contradictions, des tâton- nements et des modes de pensée des péda- gogues anciens dont elle a étudié les ouvrages pour appréhender avec un sens cri- tique plus appuyé certains discours pédago- giques d’aujourd’hui. Ainsi nous interpelle- t-elle sur le sens réel d’un engagement pédagogique qui reste évidemment néces- saire, mais qui gagnerait à être bien plus rigoureux, notamment pour ce qui concerne son langage et sa rhétorique. Ce qui consti- tue un beau défi.

Charles Heimberg – Institut de Formation des Maîtres (IFMES), Genève.

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Itamar Freitas

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