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Identités, Mémoires, Conscience historique – TUTIAUX-GUILLON; NOURISSON (CC)
TUTIAUX-GUILLON, Nicole; NOURISSON, Didier (Org). Identités, Mémoires, Conscience historique. Publications de l’Université de Saint-Etienne, 2003. 220p. Resenha de: AUDIGIER, François. Le cartable de Clio – Revue romande et tessinoise sur les didactiques de l’histoire, Lausanne, n.3, p.319-321, 2003.
Ce volume rassemble les contributions présentées lors du Congrès mondial de la Société internationale de didactique de l’histoire qui s’est tenu à Lyon en 2001. Les organisateurs avaient retenu trois mots – identités, mémoires, conscience historique – pour définir le thème principal de ce Congrès, trois mots qui dessinent un ensemble de questions qui traversent aujourd’hui nos sociétés, l’histoire savante, l’histoire scolaire. Les questions posées ont rencontré un large écho dans la plupart des États et systèmes scolaires européens mais aussi en Amérique du Nord et du Sud, dans certains États d’Afrique et d’Asie. La diversité des contributions témoigne de cette large ouverture et de cette convergence des préoccupations. C’est un des intérêts forts de cet ouvrage que de nous ouvrir ainsi à d’autres horizons, de pouvoir établir des rapprochements, nuancer des différences, tenter de partager la recherche de solutions pour répondre aux défis que l’enseignement de l’histoire doit affronter.
L’ouvrage est divisé en trois parties. Chacune rassemble, autour d’un axe directeur, des contributions dans lesquelles les trois termes choisis pour ce Congrès entrent en écho l’un avec l’autre. La perspective commune est aussi celle d’une nécessaire interrogation de l’histoire scolaire du point de vue de sa définition, de ses contenus et de ses modes de transmission.
La première interroge « l’enseignement de l’histoire entre principes et pratiques ». Dans sa conférence d’ouverture Christian Laville livre une analyse critique du concept de conscience historique et du courant qui le porte. Empruntant ses références aux situations européenne et québécoise, il ouvre très largement son propos aux travaux anglophones. Il introduit ainsi une préoccupation qui habite de nombreuses contributions de cet ouvrage avec la critique du récit largement développée chez certains historiens et à l’école, et l’importance de plus en plus grande accordée à l’enseignement des modes de pensée historique. Nicole Tutiaux-Guillon s’appuie en particulier sur sa participation à l’enquête Jeunes et histoire pour mettre l’intention de construction d’une conscience historique critique au regard des coutumes didactiques. Elle souligne le poids des secondes comme obstacle à la première et souligne l’importance accordée aux connaissances comme vecteur privilégié voire unique pour cette construction. En s’appuyant sur l’exemple français Annie Bruter questionne la relation entre l’identité, la mémoire collective et l’enseignement de l’histoire. Si certains facteurs internes à l’école expliquent le délitement de cette relation, il convient aussi de considérer le rôle déterminant joué par les transformations de l’idée de nation. Elle conclut sur les ambiguïtés et les écarts qui caractérisent l’histoire scolaire et les discours officiels. Avec la Commune de Paris, Didier Nourrisson introduit les « oubliés » de l’histoire scolaire, les contenus de celle-ci variant de manière souvent plus spontanée que vraiment réfléchie. Ses réflexions se prolongent dans ce numéro du Cartable. Arja Virta clôt cette première partie par la présentation d’une enquête menée auprès de futurs enseignants du primaire en Finlande, sur les conceptions que ces derniers ont de l’histoire et de son rôle dans la société et pour les individus. Elle met notamment en évidence les composantes intellectuelles et critiques, mais aussi affectives et émotionnelles des relations que les personnes entretiennent avec l’histoire.
La deuxième partie traite de la question des « enjeux » et des « contextes ». Trois communications sont présentées par des universitaires engagés dans la formation des maîtres et travaillant dans des contextes différents. Robert Martineau analyse le problème identitaire canadien dans quatre de ses dimensions: historique, politique, civique et éducative, pour appeler à une nécessaire refondation de la citoyenneté canadienne dans une société plurielle. Il met en écho les travaux de nombreux historiens de son pays avant de plaider pour un enseignement qui, loin des grands récits épiques, privilégie un apprentissage des modes de pensée historique. Elisabeth Erdmann interroge la mémoire dans l’Allemagne d’aujourd’hui alors que s’y développe une sorte de « boulimie commémorative » selon la formule de Pierre Nora. Elle compare Les lieux de mémoire avec un ouvrage paru en Allemagne et inspiré par la même problématique, pour souligner certaines des différences entre les deux œuvres, différences liées au contexte de chaque pays. Observant l’accent mis en Allemagne sur les deux derniers siècles, elle propose de reprendre la distinction entre mémoire «communiquée» très liée à la mémoire orale, mémoire culturelle qui renvoie aux signes multiples dans une société donnée et mémoire historique liée aux méthodes critiques, à l’usage raisonné des sources, etc. Elle plaide pour un enseignement permettant aux élèves de différencier ces mémoires et pour le développement d’enquêtes comparatives entre nos États. L’enquête est le matériau sur lequel s’appuie Lana Mara de Castro Siman pour étudier les représentations du passé qu’ont de jeunes brésiliens, en prenant pour objet principal la fondation de la nation au Brésil et en utilisant la lecture d’images. Elle conclut notamment sur l’importance de l’histoire scolaire dans la formation de ces représentations et se prononce pour un enseignement qui favorise la rupture avec les schémas binaires simplificateurs.
Les contributions de la troisième partie sont rassemblées sous le titre de « Penser le passé, apprendre l’histoire ». Charles Heimberg développe l’importance d’un enseignement centré sur l’apprentissage des modes de pensée de l’histoire comme contribution d’une nouvelle manière d’interroger son identité et de regarder le monde. Il insiste notamment sur la distinction entre histoire et mémoire avant de proposer quelques exemples de travail en classe et de poser quelques questions sur la difficile question de l’évaluation. Jacques Vieuxloup présente une recherche en cours sur l’enseignement des concepts d’État et de pouvoir dans des classes de quatrième et de troisième dans un collège français. Tout en faisant place aux interrogations que l’idée même de concept soulève en histoire, il se situe dans la perspective d’un enseignement qui privilégie la construction de concepts et fait état des premiers résultats obtenus auprès des élèves. En s’appuyant sur les expériences menées à l’Université catholique de Louvain, Kathleen Rogiers fait quelques suggestions sur l’usage des ordinateurs dans l’enseignement et l’apprentissage de compétences historiques avec des élèves de l’enseignement secondaire. Le support est un cd-rom comportant quatre dossiers de sources historiques permettant de travailler sur le concept de pouvoir dans la société médiévale. L’accent est mis sur l’autonomie, la participation active, le travail d’interprétation, autant de résultats importants pour un enseignement renouvelé de l’histoire. Susanne Popp étudie la spécificité de la mémoire concernant Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht et ses transformations en Allemagne. Elle part du fait que cette mémoire est une mémoire centrée sur un « couple » et non sur un « héros » pour analyser les possibilités que cette particularité éveille mais aussi les obstacles. L’existence de deux Allemagnes pendant une quarantaine d’années permet de développer une comparaison entre deux traditions mémorielles qui se rejoignent dans l’oubli des textes politiques de ces deux personnages. Angelina Ogier Cesari analyse les discours sur Napo léon 1er dans un corpus de manuels scolaires de l’école élémentaire entre 1880 et 1995 en France. Elle construit une périodisation de ces discours qui s’achève, à partir des années 1980, par une très nette diminution de la place accordée à Napoléon. Le lien avec les finalités de l’enseignement de l’histoire est ici fortement établi, la construction d’une identité nationale essentielle hier, un déclin de cette référence et une ouverture au monde aujourd’hui. En relation avec la mondialisation, Tayeb Chenntouf étudie la place donnée à l’histoire des civilisations et au concept de civilisation dans les enseignements d’histoire et de géographie des pays du Maghreb et de France. Il constate l’ouverture internationale de l’histoire surtout pour l’étude des civilisations anciennes et, en revanche, la place relativement modeste accordée aux civilisations du temps présent. Le projet Braudel reprend toute sa pertinence dans un monde où la prise en compte des identités plurielles, l’ouverture aux autres et la tolérance sont plus que jamais nécessaires.
Il revient à Henri Moniot qui a incarné l’intérêt des historiens universitaires pour la didactique de l’histoire de conclure en convoquant quelques « saints » auxquels se vouer. Choisissant Braudel, Létourneau, Lepetit et plusieurs autres, il reprend à nouveau frais la double référence, incontournable comme on dit aujourd’hui, qui commande l’enseignement de l’histoire: la connaissance et la connivence. Tout cela appelle, exige suis-je tenté d’écrire, la poursuite de divers chantiers déjà engagés, l’ouverture de quelques nouveaux, et pour tous, le développement de solides recherches appuyées sur des données empiriques, seul moyen de mettre à distance, au moins un peu, les dimensions idéologiques, affectives, les passions dont l’histoire et son enseignement sont l’objet.
François Audigier – Université de Genève.
[IF]Pistes didactiques et chemins d’historiens. Textes offerts à Henri Moniot – BASQUÈS et al (CC)
BAQUÈS, Marie-Christine; BRUTER, Annie; TUTIAUX-GUILLON, Nicole (Org). Pistes didactiques et chemins d’historiens. Textes offerts à Henri Moniot. Paris, Budapest et Turin: L’Harmattan, 2003. 382p. Resenha de: Charles Heimberg. Le cartable de Clio – Revue romande et tessinoise sur les didactiques de l’histoire, Lausanne, n.3, p.321-322, 2003.
La tradition des « Mélanges » offerts à un chercheur qui part à la retraite débouche souvent sur des volumes très éclectiques. Mais avec Henri Moniot, la diversité des approches, pardessus les frontières, de l’histoire occultée de l’Afrique à la question récemment soulevée de la didactique de l’histoire, ne fait que refléter la richesse et l’originalité d’un parcours scientifique hors du commun.
Parmi les nombreux thèmes évoqués dans ce volume, il en est qui interrogent la différence et son occultation. Ainsi la visibilité des femmes dans l’histoire enseignée est-elle évoquée pour ses limites. Annie Rouquier regrette à juste titre une réduction régulière de leur place dans les manuels et les programmes français (mais en va-t-il autrement ailleurs?). Autre dimension de la différence, celle du racisme et de la conception ethnique de la nation. Claude Liauzu traite la question de l’ethnocentrisme des savoirs universitaires, qui sont nés avec la modernité et l’émergence de l’État nation, et s’interroge sur l’opacité des ressorts profonds du racisme, ainsi que sur les points communs du racisme colonial, de la xénophobie et de l’antisémitisme, autant de manières problématiques de gérer le rapport à Catherine Coquery-Vidrovitch s’interroge sur les liens inavoués entre histoire et propagande. Les faussaires de l’histoire sont certes identifiables, mais le rapport entre histoire engagée, dans le bon sens du terme, et parti pris idéologique est plus complexe. En principe, c’est l’apport de la connaissance qui devrait distinguer l’histoire de ses usages pervertis. Mais la nature même d’une science sociale ne permet pas de régler complètement la question. D’où l’intérêt, par exemple, des Subaltern Studies, ces études d’historiens de pays anciennement colonisés qui tentent de redonner une certaine pluralité à leur discipline.
Il n’est pas possible de rendre compte brièvement ici de toutes les contributions de ce volume. Notons toutefois la présence d’une série d’auteurs polonais, ce qui témoigne des réseaux de réflexion et de recherche comparée qu’Henri Moniot a su tisser au cours de sa carrière.
La question de l’enseignement de l’histoire est au centre d’un grand nombre de textes. Par exemple, les tentatives internationales de réécrire l’histoire dans un sens pacifique, favorable à l’entente entre les peuples, qui ont été impulsées au cours de l’entre-deuxguerres par le Bureau International de l’Éducation de Genève sont analysées par Maria Cristina Giuntella. Le bilan qu’elle en dresse n’est pas brillant, mais il est intéressant de constater que le débat se déroulait alors entre les tenants d’une approche éducative et morale de l’histoire enseignée et ceux qui tenaient à transmettre les connaissances spécifiques de la discipline, un débat qui n’est toujours pas épuisé aujourd’hui. De son côté, Anne Morelli relate la période où la Belgique a connu un enseignement rénové de l’histoire, un programme problématisé et susceptible de favoriser les activités des élèves qui a été généralisé à la fin des années soixante,puis supprimé par un ministre conservateur au début des années quatre-vingt. Encore une fois, ce cas nous montre l’inscription dans la longue durée de certains débats fondamentaux sur l’enseignement de l’histoire. Les propos de Christian Laville sont encore plus inquiets pour la période récente. Il note en effet une certaine tendance, dans bien des pays, à vouloir revenir à un récit fermé destiné à « mouler les consciences ». La dimension civique de l’enseignement de l’histoire devrait pourtant nous mener à aller dans le sens du développement d’un sens critique. Sur le même thème, François Audigier appelle de ses vœux un développement des réflexions et des recherches en didactique pour que l’on sache mieux quels récits communs sont à construire et ce que les élèves s’approprient vraiment en termes de citoyenneté et de sens critique.
Nicole Tutiaux-Guillon insiste à juste titre sur la valorisation de l’adhésion et la prédominance d’une histoire scolaire, en France, qui prétend dire la réalité du monde en évitant de laisser planer le doute et les incertitudes. Enfin, les deux dernières contributions de l’ouvrage, dues à Théodora Cavoura et Nicole Lautier, portent sur la pensée historique, notamment autour du raisonnement analogique. Mais comment passe-t-on de l’analogie spontanée à l’analogie scientifiquement raisonnée? Selon quels critères peut-on sortir du sens commun et entrer réellement dans une pensée historique? C’est tout le problème de la pensée et de la conscience historiques qu’affronte désormais la recherche didactique pour développer une construction lucide de l’histoire scolaire par ses acteurs.
Ce volume, décidément, est d’une très grande richesse!
Charles Heimberg – Institut de Formation des Maîtres (IFMES), Genève.
[IF]