L’Enseignement de l’histoire en France. De l’Ancien Régime à nos jours – GARCIA; LEDUC (AHRF)

GARCIA, Patrick; LEDUC, Jean. L’Enseignement de l’histoire en France. De l’Ancien Régime à nos jours. Paris: Armand Colin, 2003, 320p. Resenha de: BIANCHI, Serge. Annales Historiques de la Révolution Française, v.338, p.181-183, oct./déc., 2004.

L’ouvrage que Patrick Garcia, enseignant en IUFM et Jean Leduc, enseignant en classes préparatoire proposent sur l’enseignement de l’histoire en France est un livre érudit, utile et particulièrement suggestif, voire salutaire, conçu pour des publics très divers. Nous n’avons retenu que les contenus  de la fin de l’Ancien Régime à l’Empire pour en dégager les apports essentiels.

Avant 1830, l’histoire n’est pas une discipline à part entière enseignée dans les écoles, ce qu’elle deviendra avec la Monarchie de Juillet qui inaugure le « siècle de l’histoire ». Chaque régime trouve dans la place de l’histoire un révélateur des priorités politiques et morales de l’époque. Avant 1789, l’histoire peut être enseignée dans 50 des 348 collèges, les écoles royales militaires et quelques établissements féminins. Mais il s’agit d’un recueil d’exemples à suivre, particulièrement antiques et d’une morale en action, ou de l’histoire sainte. Rousseau qui voudrait « écarter tous les faits » s’oppose à La Chalotais (1763) qui désire par l’histoire distinguer les faits prouvés et à D’Alembert qui veut enseigner l’histoire à rebours. Dans cette histoire destinée à légitimer la monarchie et ses grands rois, la stabilité sociale et la mise à l’écart du peuple, la formation d’un citoyen n’est pas à l’ordre du jour.

Elle le devient dans le « traumatisme » révolutionnaire où la création d’un calendrier républicain est le symbole d’une volonté de recommencer le monde sur une « table rase », en niant les héritages monarchiques. L’histoire demeure dans la décennie une discipline à la fois secondaire et politique. Elle n’aurait guère de prise dans le primaire, pâtirait de la désorganisation des structures anciennes du secondaire et serait concurrencée par les autres modes de pédagogie civique pour adultes que sont les fêtes, le Panthéon (et la presse « populiste » des instituteurs des hameaux, les rédacteurs de la Feuille villageoise). La place de l’histoire varie dans les projets de Condorcet, Talleyrand, Le Peletier, Lakanal et Daunou. Elle est alors rarement dissociée de la géographie et de l’histoire des peuples libres. Les auteurs auraient pu se pencher sur les (rares) témoignages d’instituteurs et d’institutrices désireux de régénérer leurs élèves à partir d’exemples républicains (Brutus, Tell, certains philosophes), voire d’ouvrages et recueils d’actions héroïques contemporaines. Mais l’histoire semble réservée aux enfants des élites sous le Directoire, disposant parfois d’un horaire quotidien dans les écoles centrales, loin cependant des effectifs du dessin ou des mathématiques. Cette vision « classique » néglige peut-être certains acquis récents de l’historiographie scolaire de la révolution, autour des réalisations du primaire et de l’ubiquité des instituteurs républicains.

Mais les qualités de l’ouvrage sont mises en évidence avec l’Empire et la restauration. Bonaparte puis Napoléon veut réconcilier le passé monarchique au présent impérial en soulignant les continuités et les filiations. Mais l’histoire de César contre Brutus ne ferait pas recette auprès des enseignants, devenant au fil des années la servante de l’histoire religieuse et des lettres, un exercice de nomenclature et de mémorisation. Avec la Restauration commencent la caractérisation d’un enseignement parfois régulier, de 3 à 5 années dans les lycées, de 1 heure 30 à 2 h 30, reposant sur le premier « manuel » (Desmichels, 1825) ou le premier « précis » (1827). Les professeurs libéraux et légitimistes s’affrontent sur la nature de la Révolution, le contenu variant selon les orientations politiques du sommet, non sans décalages délicats à saisir sur le terrain.

Dans chacune des séquences, les auteurs ont voulu répondre pédagogiquement aux questions centrales qu’impliquent leur sujet : fonction de l’histoire, finalités sociales, périodes et thèmes enseignés, supports et diffusion des contenus, profils des enseignants. Même si les réactions du public et les témoignages des maîtres font défaut, las analyses emportent la conviction par le dosage maîtrisé de l’érudition et des problématiques. À partir de 1830, l’histoire entre dans les mœurs et les institutions, devient une passion française, de Guizot à Lavisse, le grand homme de l’ouvrage, à l’apogée de la « république des professeurs », pourfendue par Charles Péguy. Les auteurs scrutent les programmes, les horaires, les contenus, les réactions des gouvernants et du corps enseignants, les modes, les interrogations de la profession et du public, scolaire et adulte, les mutations des méthodes entre cours magistral, commentaire de documents et travaux pratiques, selon les niveaux d’enseignement. Les spécificités françaises, le lien si étroit entre enseignement et recherche universitaire, sont rendues dans leurs richesse et leurs ambiguïtés. L’évolution de l’agrégation est particulièrement suggestive, d’abord générale (1762), puis liée à la géographie (1830), puis féminine (1884), puis indépendante (1950), puis détachée progressivement du Capes (entre 1991 et 2004) : elle comprend plus ou moins d’épreuves écrites et orales, un moment une épreuve de correction de copie, un stage controversé…

C’est dire, au delà de la période révolutionnaire la richesse de cet ouvrage, qui complète avec bonheur les livres de René Grevet (L’avènement de l’école contemporaine) et d’Evelyne Héry (Un siècle d’enseignement de l’histoire) en ouvrant des perspectives neuves, mêlées à une connaissance particulièrement précise (et actualisée) du terrain pour les deux auteurs. On sort de la lecture avec le sentiment réconfortant d’une prise de conscience de la plupart des potentialités du métier d’historien, au terme d’expérimentations de plus de deux siècles, mettant en scène des générations d’acteurs confrontés aux mêmes dilemmes des finalités – morale, civique, intellectuelle et critique – de notre discipline.

Serge Bianchi

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